Synthèse de l’atelier 6

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1er avril 2016 – Université Polytechnique de Valencia

ATELIER 6 : PRODUCTION, CREATION D’EMPLOI ET INSTALLATION DES JEUNES, PARTAGE DE LA RICHESSE

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BILAN

Les processus d’accaparement et de concentration des terres font peser sur l’agriculture familiale paysanne et les sociétés dans leur ensemble de lourdes menaces. La destruction de l’agriculture paysanne est à imputer aux politiques internationales et nationales soutenant activement le développement d’une agriculture capitaliste à salariés1.

Les États encouragent largement le modèle agricole industriel en soutenant financièrement les grandes exploitations, au moyen de subventions et d’exonérations fiscales. Les mécanismes de contrôle des marchés fonciers qui préserveraient les terres au bénéfice de l’agriculture familiale font défaut. Les mieux dotés ont toute latitude pour prendre le contrôle d’immenses étendues fertiles, à travers des contrats de location ou de vente, souvent de manière complètement opaque2.

La concurrence inégale des exploitations capitalistes à salariés, mieux dotées en terres et moyens de production et les difficultés d’accès aux marchés mettent en péril les exploitations familiales en place. Les ruraux n’ont progressivement plus d’autre choix que l’exode ou, pour une minorité, la salarisation dans les grandes exploitations3. Le renouvellement générationnel est compromis.

L’obligation de posséder toujours plus de capitaux pour accéder aux terres interdit à beaucoup de personnes de s’installer comme agriculteur. L’accès des jeunes et des femmes au foncier est plus affecté encore car, dans de nombreuses sociétés, les us et coutumes réservent l’héritage aux seuls hommes voire au seul aîné. Par ailleurs, l’agriculture paysanne et les usages familiaux et communautaires des ressources naturelles en général sont de plus en plus dévalorisés aux yeux des jeunes, qui préfèrent souvent envisager leur avenir hors de l’espace rural. Sous l’effet de ces facteurs, d’innombrables exploitations agricoles familiales disparaissent. En France où, à la différence de la plupart des pays, les transferts de droits fonciers (usage et propriété) font pourtant l’objet de régulations, plus de 10.000 exploitations agricoles disparaissent par an en moyenne. En Afrique, en Asie où se trouve la plus grande part des paysan-ne-s du monde, en Amérique latine et en Europe de l’Est ce sont des dizaines de millions d’agriculteurs qui sont contraints de cesser leur activité chaque année (atelier 4)

La destruction des exploitations agricoles paysannes pose des problèmes majeurs pour les personnes directement affectées. Elle est aussi très grave pour la société dans son ensemble. Ces exploitations produisent 70 à 80 % des aliments consommés globalement, cela bien souvent dans des conditions respectueuses de l’environnement (atelier 7) et de la santé humaine. Ce modèle agricole est à même d’assurer la sécurité alimentaire tout en répondant à la demande de produits alimentaires diversifiés et de qualité. Leur disparition compromet la sécurité et la souveraineté alimentaire. Elle aggrave aussi la crise économique et sociale globale.

Dans l’exploitation familiale paysanne, la richesse générée rémunère principalement les travailleurs. À l’inverse, les exploitations agricoles capitalistes à salariés en reversent la plus grande part à leurs actionnaires. À titre d’exemple, dans les grandes exploitations agricoles sud africaines, 80 % de la richesse créée sert à rémunérer le capital, contre 9 % pour les travailleurs. Elles réduisent ainsi considérablement le partage des bénéfices de la production.

Selon les pays et le type d’agriculture qui est développée, les systèmes agricoles familiaux peuvent fournir plus de 20 fois plus d’emplois par hectare que les exploitations agricoles capitalistes. En Andalousie (Espagne), où la concentration des terres est particulièrement élevée – 2 % des propriétaires détiennent 50 % des terres arables – le chômage est de 40 % à 60 % chez les jeunes. Cette région témoigne comme beaucoup d’autres de la dévitalisation des territoires qu’entraîne la concentration des terres par des exploitations agricoles capitalistes à salariés. Comment pourraient-ils rester dynamiques sans le maintien des petites exploitations agricoles ? Leur disparition provoque des flux migratoires massifs et la paupérisation des villes (atelier 4). Ne pouvant nier les impacts dommageables du modèle agricole capitaliste, les États ont parfois adopté des politiques pour les corriger. Mais force est de constater leur inefficacité, certaines se révélant même dangereuses pour les petits exploitants familiaux. Les mesures pour rétablir des opportunités d’accès à la terre laissent souvent les jeunes les moins dotés en capital initial et sans accès au crédit dans l’impossibilité de s’installer. Des programmes d’accès au crédit (pour les femmes notamment) obligent leurs bénéficiaires à des contreparties (achat de semences OGM, de pesticides…) qui réduisent leur autonomie de décision, les empêchent de mettre en œuvre une agriculture agro-écologique et augmentent leur vulnérabilité face aux aléas climatiques. Parfois, des aides allouées sur une base individuelle permettent la survie des exploitants familiaux mais pas le développement de leurs moyens de production pour cultiver et produire durablement. La précarisation générale des ruraux concerne aussi largement les ouvriers agricoles dont les conditions de travail sont très souvent extrêmement difficiles.

La disparition des agricultures paysannes et des autres utilisations familiales/communautaires des ressources naturelles est une menace pour l’humanité. La généralisation du modèle de l’exploitation agricole capitaliste à salariés réduit le nombre d’actifs agricoles et le partage des bénéfices. L’exploitation familiale paysanne présente les meilleurs atouts pour produire une alimentation de qualité en quantité suffisante et générer des emplois et activités garantissant une vie digne et heureuse aux majorités rurales. Il est urgent d’adopter et de mettre véritablement en œuvre des politiques publiques qui privilégient les usages familiaux des ressources naturelles et notamment l’agriculture paysanne. Ces politiques doivent conduire à la revalorisation de ces activités et modes de vie, et assurer leur transmission aux jeunes, de génération en génération.

PROPOSITIONS

Mesures politiques

Faciliter l’accès au foncier

  • Renforcer les programmes existants et/ou les initiatives pour soutenir l’installation des jeunes agriculteurs et des femmes aussi bien dans les pays du Nord, que dans les pays du Sud (comme au Portugal, il peut s’agir de créer des banques foncières ; dans ce pays, les jeunes bénéficient également d’un accès privilégié aux subventions et sont exonérés de taxes les trois premières années suivant leur installation).
  • Réguler le foncier pour éviter l’accaparement/la concentration des terres et encourager le renouvellement générationnel, en particulier l’accès à la terre des jeunes (la vocation initiale des Société d’Aménagement du Foncier et de l’Établissement Rural, SAFER, en France a été évoquée) et des femmes.

Rendre viable l’installation agricole

  • Garantir des prix rémunérateurs par le biais de politiques de régulation des échanges (voir atelier 8).
  • Améliorer l’accès aux marchés locaux et régionaux.
  • Consacrer prioritairement les subventions au soutien des paysans et autres utilisateurs familiaux et communautaires des ressources naturelles mettant en œuvre des pratiques respectueuses de l’environnement.
  • Développer et généraliser les pratiques agroécologiques par les échanges de paysans à paysans et autres formations.
  • Pour contribuer à juguler l’exode rural, les politiques doivent faciliter l’accès des populations rurales (et en particulier paysannes) à la santé, à l’éducation, aux infrastructures ou encore à la sécurité sociale.

Renforcer les relations villes – campagnes (consommateurs – producteurs)

  • Impliquer les femmes et les jeunes dans les processus décisionnels relatifs à l’accès aux terres et ressources naturelles, à la production alimentaire et à l’accès des citoyens urbains à cette alimentation,
  • Concevoir et mettre en œuvre, de manière démocratique, des politiques alimentaires et agricoles intégrées, pour relocaliser l’approvisionnement alimentaire des villes et favoriser l’installation d’agriculteurs en zone périurbaine,
  • Développer les liens entre zones rurales et urbaines, et l’ancrage des habitudes alimentaires aux territoires et aux savoirs/savoir-faire locaux à travers des innovations permettant la relocalisation des circuits de transformation et de consommation.

Actions citoyennes

La redynamisation des relations villes – campagne et les politiques privilégiant l’agriculture paysanne et les autres usages familiaux/communautaires des ressources naturelles ne s’obtiendront que par des actions citoyennes concrètes et des mouvements forts. Les participants ont évoqué différentes formes d’actions pour obtenir les changements politiques, telles que des grèves conduites en Afrique du Sud, des marches récemment menées en Inde, Afrique de l’Ouest et Brésil, ou encore l’occupation de terres comme en Andalousie. Des expériences de réorganisation concrète, par les citoyens eux-mêmes, de l’approvisionnement alimentaire de collectivités (écoles, administrations…) ont démontré que le changement s’engage aussi directement en actes. La généralisation de systèmes agricoles et alimentaires durables fondés sur les usages familiaux et communautaires des ressources naturelles appelle cependant des alliances beaucoup plus fortes encore entre toutes ces initiatives.

INTERVENTIONS

La liste suivante n’est pas exhaustive. Nous nous excusons auprès des intervenants lors de cet atelier et des participants qui n’y trouvent pas leur nom, et vous invitons à vous manifester, à l’adresse suivante, pour nous permettre d’éditer une nouvelle version de cette synthèse avec la liste complète : secretariat@landaccessforum.org

Interventions introductives :

BORQUEZ, Rita, PROCASUR, Chili

COCHET, Hubert, Professeur, AgroParisTech, France

DAO, The Anh, Académie des Sciences du Vietnam, Vietnam

DARROUY, Guillaume, Jeunes Agriculteurs, France

FORTUIN, Bettie, Women on Farms Project, Afrique du Sud

GONZALEZ, Pablo, Syndicat Andalou des Travailleurs (SAT), Espagne

JAHEL, Camille, Association pour l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), France

OBREGON, Saul, Fundacion del Rio, Nicaragua

ROBLES, Hector, Observatoire des Subventions Rurales au Mexique

VIDAL Y GONZALEZ, Mireia, Coordination des Organisations d’Agriculteurs et d’Éleveurs – Communauté Autonome de Valencia (COAG-CV), Espagne

Interventions de participants :

ANDREWS, Nancy, Chercheur, France Etats-Unis

CISSE, El Hadji Thierno, Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR), Sénégal

FAYE, Iba Mar, Chef de mission Agriculture familiale et foncier, GRET, Sénégal

GBANFREIN, Paul, Responsable du projet Sécurisation des droits fonciers em zone urbaine, Centre de Recherche et d’Action pour la Paix (CERAP), Côte d’Ivoire

LERAS, Gérard, ancien éleveur laitier, ancien Vice-président de la Région Rhône Alpes en charge du foncier, AGTER, France

MARTÍNEZ JIMENEZ Florita, Réseau Indigène Bribri et Cabecar (RIBCA) et Alliance Mésoaméricaine des Peuples et Forêts (AMPB), Costa Rica

NEVES, Vitor Carlos, Centrale des Coopératives et Entreprises Solidaires (UNISOL), Brésil

PALEBELE, Kolyang, Président du Conseil National de Concertation des Producteurs Ruraux du Tchad (CNCPRT), et Vice-président de la Plate-forme Régionale des Organisations Paysannes d’Afrique Centrale (PROPAC), Tchad

RUSSO, Nuno, Coordinateur de la Banque Foncière Nationale, Ministère de l’Agriculture, de la Forêt et du Développement Rural, Portugal

Modérateur :

EL OUAAMARI, Samir, Association pour l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), France

Rapporteur :

SARMENTO, Francisco, Centre d’Études Sociales, Portugal

1 Les participants sud-africains ont rappelé que ces processus ne sont pas nouveaux et que dans ce pays, comme dans beaucoup d’autres, ils ont débuté à la période coloniale.

2 Au Nicaragua, par exemple, les entreprises concessionnaires de la construction et de l’exploitation du grand canal trans-océanique ont eu carte blanche du gouvernement pour opérer pendant 100 ans et développer différents types d’activités.

3 À titre d’exemple, de nombreuses exploitantes agricoles sud-africaines sont contraintes, afin de rembourser leurs emprunts, de prendre le chemin de l’exil pour travailler dans les grandes exploitations agricoles des pays voisins où elles ne sont payées que 4 euros pour 13 heures de travail.