Les évolutions que l’on observe depuis dix ans sur le terrain au niveau mondial sont bien éloignées des recommandations qui avaient été formulées par le FMRA et la CIRADR, avant même que le pro- cessus d’acquisitions/locations de terres à grande échelle par un petit nombre d’acteurs économiques ne prenne l’ampleur qu’il a aujourd’hui.
Ces dernières années, les interrogations quant aux impacts sociaux et politiques des projets d’investis- sement à grande échelle et aux risques qu’ils font peser sur la sécurité alimentaire et l’environnement ont été exprimées à de nombreuses occasions et au sein d’organismes divers. La non transparence des transactions foncières et la négation des modalités locales d’accès et d’usage des ressources fon- cières et hydriques ont été reconnues comme des facteurs favorisant l’éviction des paysans. La fina- lité de ces projets, généralement l’exportation de produits agricoles de base, a été mise en regard des problèmes de sécurité alimentaire que rencontrent les populations des pays hôtes, notamment quand leur implantation vient souvent substituer aux cultures alimentaires des cultures destinées à la production d’agrocarburants. Enfin, ce type de projet repose souvent sur des systèmes de production axés sur la monoculture et faisant largement appel à l’utilisation massive d’énergie fossile, d’intrants d’origine industrielle et de semences transgéniques présentant des risques de pollution des sols et des eaux et de diminution de la biodiversité.
D’une manière plus générale, les transformations contemporaines de l’agriculture dans de nom- breuses régions du Monde et la poursuite de l’accroissement démographique se sont accompagnées d’une part, de la paupérisation d’un très grand nombre de paysannes et de paysans et d’autre part, de l’expulsion de millions de personnes du secteur agricole, phénomène traduisant le blocage de l’inves- tissement et la crise profonde que connaissent de nombreuses régions agricoles. Cette véritable mise à l’écart de plusieurs centaines de millions d’agriculteurs, faute d’un accès adéquat à la terre, à l’eau d’irrigation et aux autres moyens de production, alimente aujourd’hui un processus global de margi- nalisation et de perte de dignité, porteur de déséquilibres majeurs. Ce manque de garantie concer- nant l’accès à la terre, à l’eau, aux espaces de pêche et aux forêts, et le développement parallèle de grands projets agro-industriels et forestiers conduisent de plus en plus fréquemment à l’éviction de communautés entières de leur lieu de vie et de travail. On sait par ailleurs que ce sont précisément ces secteurs appauvris des campagnes qui constituent le gros des contingents de mal nourris de la planète. « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde », dressé par la FAO en 2013, met en avant le nombre de 842 millions de sous alimentés, dont les trois quarts sont des ruraux.
Les Nations Unies ont déclaré 2014 comme étant « l’année des agricultures familiales » appelant ainsi à remettre ce modèle au centre des politiques et investissements agricoles, reconnaissant leurs spécificités et capacités à augmenter la production alimentaire tout en préservant les écosystèmes, à générer de l’emploi et à réduire la pauvreté. A un moment historique où celles-ci n’ont jamais été autant menacées à l’échelle de la planète toute entière, cette décision prend un sens évident et une dimension particulière. De nombreuses initiatives ont par ailleurs été prises en ce sens et le dialogue entre gouvernements nationaux, organisations de la société civile et organismes multilatéraux a pu être réactivé sur de nouvelles bases, incluant notamment la question du droit à la terre et aux res- sources naturelles. Une des plus significatives est celle du Comité de la Sécurité Alimentaire (CSA), impliquant à la fois des États, des institutions internationales et des organisations de la société civile, et qui a adopté en 2012 les « Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale ». Au terme de deux années de négociation, ces directives furent l’expression d’un large consensus pour promouvoir une gouvernance responsable du foncier, comme réponse au processus d’accaparement. Réuni à Rome le 21 février 2014, le Forum Paysan appelait solennellement les gou- vernements à mettre en application les décisions adoptées par la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR, 2006) et par le CSA.