Synthèse de l’atelier 3
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31 mars 2016 – Université Polytechnique de Valencia
ATELIER 3 : L’ACCAPAREMENT DES RESSOURCES HALIEUTIQUES
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Contents
BILAN
On assiste actuellement au développement d’un ensemble de lois et de pratiques qui excluent les pêcheurs artisanaux et leurs communautés du contrôle des ressources halieutiques. Lorsque l’on évoque les phénomènes d’accaparements, un intérêt très faible et secondaire est généralement accordé à la question des ressources halieutiques. Pourtant, la pêche et l’aquaculture sont à la base de la survie économique de millions de personnes1. De même, l’activité halieutique est essentielle pour garantir la sécurité alimentaire mondiale. Dans un grand nombre de pays, elle fournit la plus importante source de protéines animales de qualité pour les populations et, de manière générale, elle tend à fournir une part toujours plus importante de l’alimentation humaine. Les témoignages apportés rappellent que l’accaparement des mers et des cours d’eau est une réalité, au même titre que l’accaparement des terres. Partout dans le monde, les pêcheurs, comme les agriculteurs, font face à d’importantes menaces sur leur activité. Depuis le milieu des années 1980, les États agissent en faveur de la privatisation des pêches en livrant les quotas de pêche à des gros industriels. On assiste a une concentration croissante des ressources halieutiques par une poignée de grandes entreprises au détriment des communautés de pêcheurs familiaux et artisanaux, pourtant les plus nombreux. Le cas du Chili est emblématique de ces processus dans la mesure où la réforme des pêches de 2013 a permis d’octroyer plus de 90% des quotas de pêche du pays à seulement sept familles du secteur de la pêche industrielle. Une telle concentration des droits de pêche exclut de fait les milliers de petits pêcheurs et signe purement et simplement la fin de l’existence des pêches familiales et artisanales.
Le développement de la pêche industrielle intensive, dont les puissants acteurs ne sont mus que par l’intérêt économique de maximisation des profits, a conduit à une sur-exploitation des ressources en poissons. Selon la FAO, l’état des ressources halieutiques est aujourd’hui préoccupant avec environ 25% des stocks qui sont gravement surexploités. Partout, la prédominance de la pêche industrielle intensive conduit à l’épuisement des populations de poissons, menaçant par là même la sécurité alimentaire des humains et les équilibres écologiques marins.
Des accords de pêche inégaux signés entre pays « industrialisés » et pays « en développement » favorisent cette évolution. Les impacts des accords de pêche signés par les états membres de la Commission Sous-Régionale des Pêches2 (CSRP) d’Afrique de l’Ouest avec des pays tiers en donnent un exemple. Dans le cadre de ces accords, les pays de la CSRP fournissent aux bateaux étrangers des autorisations de pêcher en échange d’une compensation financière souvent très faible. Fortes de leur efficacité technologique et de leur accès déjà organisé aux marchés internationaux, les entreprises étrangères déstructurent l’activité de pêche locale qu’elles concurrencent, et avec elle ses fonctions économiques, sociales et culturelles. Alors que les pays africains concernés manquent de protéines animales de qualité, la majorité des poissons péchés dans leurs eaux est maintenant destinée à l’exportation. Inversement, désormais 60% des poissons consommés au sein de l’UE proviennent des eaux hors UE.
Par ailleurs, la part de l’élevage industriel de poissons dans l’activité halieutique ne cesse d’augmenter. Cette aquaculture centrée sur l’élevage d’un nombre réduit d’espèces à grand renfort d’intrants (alimentation en partie à base de poissons pêchés en mer et non commercialisables, pesticides, antibiotiques, colorants…) génère des effluents très polluants et introduit parfois des espèces invasives dans l’environnement. Elle perturbe les écosystèmes locaux et conduit à la disparition des espèces endogènes traditionnellement pêchées par les petits pêcheurs. Les gouvernements tendent à allouer une partie des terres côtières à des investisseurs de l’aquaculture industrielle, ce qui réduit l’accès des petits pêcheurs aux zones côtières ainsi privatisées.
Un autre processus conduit à la destruction de l’environnement marin et côtier et à la fragilisation des moyens d’existence des communautés de pêche familiales et de la pêche artisanales. Il s’agit du développement du tourisme et des infrastructures côtières. Au Sri Lanka, de nombreux centres touristiques de luxe empêchent désormais les pêcheurs d’accéder à la bande côtière, et vont jusqu’à les poursuivre en justice pour intrusion illégale. Dans ce pays, un projet de construction d’une méga-ville portuaire par des investisseurs chinois à Colombo privera, s’il se réalise, des milliers de pêcheurs de l’accès à leurs zones de pêches.
Face à ces facteurs de destruction de la pêche familiale et de la pêche artisanale, des millions de petits pêcheurs sont appauvris et contraints d’abandonner leur activité pour venir grossir les rangs des exclus de la « croissance ». À titre d’exemple, en Espagne, il y a 20 ans, 200 000 personnes vivaient de la pêche artisanale, aujourd’hui elles ne sont que 60 000. En Galice, 40 000 personnes vivaient de la pêche artisanale à la fin des années 1990 contre 8 000 aujourd’hui.
La déstructuration des communautés de pêcheurs partout dans le monde entraîne avec elle la disparition de modes de vie et de cultures particuliers. Elle cause l’extinction irréversible d’une grande part de la diversité humaine.
PROPOSITIONS
Il faut impérativement garantir le maintien d’une pêche familiale et d’une pêche artisanale durable au service des populations locales. Il s’agit d’œuvrer pour la démocratisation de l’accès aux ressources, en établissant des modes de gouvernance où les populations sont pleinement parties prenantes et même responsables de la gestion des ressources de leurs territoires.
Action citoyenne
– Élargir les alliances : tant que les pêcheurs seront les seuls à défendre la pêche, il n’y aura pas d’amélioration possible de leur situation. Il faut parvenir à inclure diverses catégories d’acteurs dans les débats sur la pêche, et en particulier les consommateurs.
– Donner davantage de visibilité à la question de l’accaparement des mers lorsque l’on aborde les phénomènes d’accaparement des ressources naturelles : il est crucial de faire prendre conscience au plus grand nombre que, parmi les ruraux, on compte aussi de nombreuses communautés de pêcheurs. Il faut notamment informer sur les méfaits de la pêche industrielle et engager des démarches de sensibilisation et d’incitation à une consommation responsable des produits de la pêche.
– Faire pression auprès des institutions gouvernementales pour obtenir :
- la révision des nombreux accords de pêche inégaux en vigueur dans le monde, garants de la prédominance des grosses entreprises de pêche sur la pêche artisanale,
- la mise en place de politiques favorables aux pêcheurs familiaux et artisanaux (voir suivant).
Mesures politiques nécessaires
– Sortir des accords de pêches bilatéraux inégaux,
– Garantir l’accès des pêcheurs familiaux et artisanaux aux zones côtières et aux ressources halieutiques, ainsi qu’aux autres moyens de production et notamment aux crédits à des taux préférentiels,
– Mettre en place un système d’aide à la diversification des activités des pêcheurs familiaux et artisanaux pour la pérennité de la pêche à petite échelle (transformation des produits de la pêche, association avec des activités agricoles…),
– Mettre en œuvre des systèmes de cogestion des ressources halieutiques, en s’assurant que les points de vue des petits pêcheurs soient véritablement pris en compte dans ces processus et que les populations côtières soient réellement parties prenantes de la fixation des règles de gouvernance,
– Limiter la taille des bateaux de pêche,
– Interdire la pêche par chalutage en eaux profondes.
INTERVENTIONS
La liste suivante n’est pas exhaustive. Nous nous excusons auprès des intervenants lors de cet atelier et des participants qui n’y trouvent pas leur nom, et vous invitons à vous manifester, à l’adresse suivante, pour nous permettre d’éditer une nouvelle version de cette synthèse avec la liste complète : secretariat@landaccessforum.org
Interventions Introductives :
MBENGUE, Moussa, Secrétaire Général de l’Association pour le développement de la Pêche Artisanale en Afrique de l’Ouest (ADEPA), Sénégal
Interventions des participants :
COCHET, Hubert, Professeur, AgroParisTech, France
HERNANDEZ, Jorge, président et directeur exécutif de l’Association Mensa Civica, SlowFood Saragosse, Espagne
MATA, Francisco, Médecin, Institut Social de la Marine, Valencia, Espagne
Rapporteur :
SEGBENOU, René, Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (COPAGEN), et membre de l’Association Ouest Africaine pour le Développement de la Pêche Artisanale (ADEPA)
Modérateur :
GARCIA ALLUT, Antonio, Président Fondation Lonxanet pour la pêche durable, Espagne
1 Ce secteur économique compterait environ 55 millions d’actifs.
2 Sont membres de la CSRP : Le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissau, la Mauritanie, le Sénégal, le Sierra Leone
atelier 1 : ACCAPAREMENTS ET CONCENTRATION DE LA TERRE. QUELS BILANS CHIFFRES, QUELS ACTEURS ?
atelier 2 : TERRITOIRES FORESTIERS
atelier 3 : L’ACCAPAREMENT DES RESSOURCES HALIEUTIQUES
atelier 4 : ÉVICTIONS, EXODE, MIGRATIONS, CONSÉQUENCES SUR LES VILLES
atelier 5 : LES DIFFICULTES D’ACCES DES FEMMES À LA TERRE ET AUX RESSOURCES NATURELLES
atelier 6 : PRODUCTION, CREATION D’EMPLOI ET INSTALLATION DES JEUNES, PARTAGE DE LA RICHESSE
atelier 7 : ENVIRONNEMENT, AGRO-ÉCOLOGIE, SOLS, EAU, CHANGEMENT CLIMATIQUE
atelier 9 : GESTION DES RESSOURCES NATURELLES PAR LES PEUPLES. PEUPLES INDIGÈNES. BIENS COMMUNS.